Le séminaire qui s’est tenu le 1er octobre 2021 a réuni plus de 230 personnes connectées et une vingtaine de personnes en présentiel. Alors que les précédentes séances du séminaire ont présenté une approche scientifique de la santé mentale des enfants protégés, ce quatrième rendez-vous a porté le regard sur les pratiques d’accompagnement et les soins des troubles psychiques des jeunes pris en charge par l’ASE. Cette séance a donné lieu à trois interventions.

D’abord, Marion Robin, psychiatre et praticienne hospitalier à l’Institut mutualiste de Montsouris (Paris) a proposé une présentation intitulée « L’adolescent et son environnement : des situations familiales à risque aux maltraitances avérées, approche clinique du trauma ».

Inscrite à la croisée d’une démarche de recherche et de clinicienne Marion Robin a rendu compte de l’étude, financée par l’ONPE, qu’elle a mené avec Maurice Corcos (psychiatre) sur le profil des adolescents hospitalisés en psychiatrie[1]. Ce travail visait le recueil des situations de maltraitance dans l’objectif d’approfondir l’évaluation de leur situation via la mise en place d’une échelle multifactorielle.

Comment décrire et se représenter ce qui s’observe dans les situations des jeunes hospitalisés en psychiatrie ? Comment faciliter la communication entre les pédopsychiatres et les professionnels de la protection de l’enfance ?  

Pour répondre à ces questions, Marion Robin présente au cours de cette intervention les principaux résultats de la recherche qui a porté sur un échantillon de 74 patients.  

Pour commencer, elle fait part du cas clinique d’un jeune homme, âgé de 14 ans, hospitalisé en psychiatrie pour une évaluation et le traitement d’une dépression sévère. Ce dernier, en conflit avec ses parents et plus particulièrement son père, a vécu des situations de violences émotionnelles, de surprotection et des violences physiques de la part de ses parents.

Cette situation exposée, Marion Robin décrit quelques résultats marquants de l’étude. Elle note une surreprésentation des filles hospitalisées (74% de l’échantillon) mais aussi, en lien avec le secteur géographique de l’établissement, des adolescents issus de familles favorisées (53% de l’échantillon) qui ne sont pas suivis en protection de l’enfance. L’étude a également révélé la fréquence d’antécédents familiaux de troubles psychiques ou psychiatriques notamment de dépression et tentative de suicide. L’étude montre la fréquence de troubles installés et sévères qui vont perdurer et s’accompagnent de handicaps sociaux élevés. Enfin, l’étude a permis d’identifier une prévalence des maltraitances vécues par ces jeunes hospitalisés.

A l’issue de ces données, Marion Robin dit sa volonté de mieux évaluer les situations vécues par les adolescents en considérant de multiples dimensions. Pour cela, elle a élaboré un nouvel outil de mesure de la situation qu’elle nomme « Echelle des interactions familiales à risque ».  Construite à la croisée de différents champs théoriques (psychanalyse, théorie de l’attachement, champ éducatif, du traumatisme etc.), celle-ci se compose de 30 critères organisés en sous-catégories (Education, Climat émotionnel, Distance relationnelle, Couple parental, Sécurité, Traumatismes). Par exemple, pour apprécier le climat éducatif sont référencés le niveau d’incohérence éducative (entre les parents ou de la part du même parent), les exigences démesurées ou inappropriées au développement affectif de l’enfant, la surprotection etc. Mais cette échelle recense aussi les conflits entre les parents, les conflits de loyauté, les difficultés de séparation, l’instabilité relationnelle… A partir de ces 30 critères, un score est établi, celui-ci pouvant être complété par un score subjectif défini par le clinicien. Actuellement en voie de diffusion et de publication, cet outil vise à favoriser le dialogue entre les professions médicales et éducatives qui interviennent auprès d’enfants en souffrance.

Ensuite, Mario Speranza, pédopsychiatre et professeur des universités à l’Inserm (U669, UMR-S0669), à l’université Paris-Sud et à l’université Paris-Descartes, a présenté les thérapies basées sur la mentalisation qui permettent d’accompagner les enfants atteints de troubles psychiques et sociaux.

Mario Speranza part de l’idée que les enfants sont éduqués pour parvenir à se comporter avec autrui de manière adaptée, sans être agressifs, en apprenant à considérer l’environnement dans lequel ils interagissent et les intentions de leur interlocuteur. Puis il s’interroge sur ce qui se passe quand des adolescents font des passages à l’acte. Comment expliquer l’origine de ces comportements et quelle attitude adopter en retour ?

La mentalisation permet de répondre à ces questions. En effet, la communication entre les personnes nécessite une activité mentale imaginative permanente avec les autres et soi-même qui permet de décrypter constamment le comportement des autres pour en interpréter les causes, les intentions etc. C’est ce processus qui est désigné sous le terme de mentalisation. Celle-ci permet une labellisation des expressions émotionnelles d’autrui afin de rendre significatifs et prévisibles leurs comportements.

Or, l’adolescence est une période où les interactions sont marquées par un risque majeur d’incompréhensions et de malentendus car c’est une étape où s’observe une opacité des états internes, des émotions et des pensées. Mario Speranza explique en effet que l’adolescence est une période où les dysfonctionnements dans le processus de mentalisation sont fréquents. Les adolescents dont s'occupent les services ne sont pas en permanence incapables de comprendre les autres et eux-mêmes, mais ils le sont à des moments bien précis à savoir quand les émotions montent, quand la relation commence à être significative ou dès qu'il y a un engagement d'attachement. Ces situations réactivent des éléments souvent traumatiques pour eux, des difficultés qu'ils ont pu avoir dans leurs expériences relationnelles, et cela inhibe leur capacité à comprendre l'autre. Autrement dit, quand le niveau émotionnel monte, les attributions d’intentions deviennent plus problématiques et les capacités de raisonnements baissent. Ces dysfonctionnements dans l’interprétation des intentions d’autrui se traduisent par le développement de stratégies de défense. Les réactions automatiques prennent alors le dessus comme dans les périodes de pré-mentalisation durant lesquelles les personnes ont plus de mal à comprendre les situations, les sentiments, les émotions et où les incertitudes sur soi et les autres sont fortes. Les jeunes sont alors détachés de leur expérience émotionnelle et les pensées sont remplacées par les actes.

De ce fait, la prise en charge des adolescents demande aux adultes et aux professionnels qui les accompagnent de s’adapter constamment à leur niveau émotionnel. Le recours à la mentalisation est essentiel en ce qu’elle consiste à se mettre à la place de l’autre et à penser les pensées de l’autre. L’objectif est de remobiliser les émotions, d’aider les adolescents à sortir de leurs scripts habituels. La mentalisation permet de travailler sur la manière dont les jeunes interprètent les situations qu’ils rencontrent.

Cette approche extrêmement relationnelle demande un fort engagement de la part des professionnels afin qu’ils puissent parvenir à identifier les situations de perte de mentalisation et à adapter leurs réponses à l’état émotionnel du jeune. L’objectif est de travailler à la sécurisation des repères et des liens et de favoriser la continuité. La mentalisation exigence donc une posture particulière. Elle nécessite d’accepter de ne pas se considérer comme expert, de faire preuve de curiosité, de chercher à identifier les états émotionnels des jeunes qui sont rarement dans la parole (le jeu peut être utile). Posture d’humilité aussi dans le sens où il est important d’accepter de revenir sur ses réactions quand le comportement adopté vis-à-vis du jeune n’a pas été adapté ou en lui demandant d’expliquer ses émotions afin de saisir son point de vue. La mentalisation nécessite aussi de l’empathie puisqu’elle vise à valider l’expérience du jeune et à lui donner le sentiment qu’il est unique. Enfin, la notion de confiance est au cœur de la prise en charge. L’adulte doit être reconnu comme une source fiable d’information car ce qui se construit dans une relation de confiance à deux se duplique dans une confiance plus large au monde suivant un principe de régénération d’une confiance épistémique dans le monde. Ainsi, l’objectif de la mentalisation est d’accéder à la mise en lien afin de régénérer la confiance dans l’autre.

Sylvie Tordjman, pédopsychiatre, professeur des universités à l’université Rennes, et au CHGR – Laboratoire de psychologie de la perception de l’université Paris-Descartes vise à démontrer dans son intervention l’importance des rythmes physiologiques. Elle porte plus particulièrement son regard sur les effets préjudiciables d’un point de vue somatique et psychique de la désynchronisation du rythme de sommeil et de veille. Elle appuie sa démonstration sur une recherche consacrée aux enfants atteints de troubles autistiques pour lesquels s’observe une très forte perturbation des rythmes circadiens. Pour ces patients, l’équipe de recherche a observé une diminution générale de la production de mélatonine, hormone naturelle sécrétée peu après la tombée de la nuit qui diminue dans la seconde partie de la nuit. Si cette hormone favorise le sommeil, elle joue également un rôle de régulateur général dans le sens où elle permet de synchroniser les autres rythmes biologiques. En cela elle est essentielle pour le fonctionnement cohérent du corps nommé l’homéostasie interne.

Au-delà de la situation des enfants atteints de syndrome autistique, Sylvie Tordjman démontre l’importance des rythmes physiologiques, considérés comme des « donneurs de temps », dans la régulation des comportements. De ce fait, lorsque des jeunes présentent des problèmes de comportements et/ou des troubles psychiques elle encourage à travailler en premier lieu à un meilleur respect des rythmes physiologiques. Elle a dès lors initié des programmes d’accompagnement sur 15 jours, avant la mise en place de soins thérapeutiques, afin de permettre aux jeunes de (re)trouver une organisation de journée en cohérence avec les cycles circadiens et physiologiques. L’objectif de cette prise en charge est de permettre la régularité et la stabilité des heures de repas, de levers, de couchers, des activités sportives mais aussi sociales nécessaires à l’homéostasie interne.

Ainsi, face à des jeunes désynchronisés, la première démarche consiste à réintroduire une hygiène du sommeil avec notamment des outils comme le « journal du sommeil » et une guidance parentale. Synchroniser le rythme de veille et de sommeil suppose par exemple de faire dormir le jeune dans une pièce calme, à bonne température et sombre puisque la lumière perturbe la production mélatonine. Les téléphones portables sont aussi retirés aux jeunes en début de soirée, afin de permettre des rituels de coucher qui favorisent l’endormissement et permettent de diminuer l’excitation. L’accompagnement se traduit aussi par un travail pédagogique autour de l’importance du sommeil. L’exercice physique joue aussi un rôle essentiel.

Autrement dit, Sylvie Tordjman invite les jeunes à « remettre leurs pendules à l’heure », à resynchroniser les horloges biologiques partant du constat que la désynchronisation des rythmes physiologiques a des effets physiques préjudiciables et génère une très grande vulnérabilité psychiatrique. Participant des difficultés de mentalisation, elle est alors un des facteurs explicatifs des comportements problématiques des jeunes et des souffrances qu’ils peuvent vivre. L’accompagnement doit dès lors chercher à rétablir l’homéostasie interne par un respect des cycles circadiens et plus globalement des rythmes physiologiques.